Une rencontre qui ne date pas d’hier

De tout temps, la broderie a suscité la créativité et a tissé des rapports privilégiés avec l’art. On remarque, aujourd’hui, un retour au fait main et à la notion de temps, gage d’authenticité. Naturellement, la broderie tire son épingle du jeu et inspire les créatifs. “Dans les techniques du fil, la notion de temps est primordiale”, précise Patty Zilo de Fiber Art Fever, un collectif d’une quarantaine d’artistes plasticiens qui travaillent avec le textile et le fil. “C’est un temps à prendre dans une société qui n’en prend pas et du coup, c’est un contretemps”, ajoute l’artiste plasticienne Aurélie Mathigot.

L’aiguille, nouveau pinceau de l’artiste ?

Selon Amélie Arbouin, l’une des deux créatrices de la mercerie en ligne Milh, la broderie, à l’image du Street Art, s’est imposée comme un art à part entière. D’une référence bourgeoise, elle est devenue un véritable art. Le secret de cette métamorphose ? Les artistes ont su inventer des motifs modernes, utiliser des points graphiques, des fils fluo… En adaptant un art ancestral aux codes d’aujourd’hui, ils ont réussi une alchimie transgénérationnelle. La broderie quitte le domaine artisanal et prend une place de choix dans l’art contemporain. Désormais, au même titre qu’un peintre ou qu’un sculpteur, de grands artistes sont référencés dans des galeries, tels Ghada Amer à la Galerie Perrotin ou Maurizio Anzeri à la Saatchi Gallery.

Feuille de papier, pub, photo… Ne perdez pas le fil !

Jose Romussi
Source : Jose Romussi

Vidéo du jour

“Quand on travaille le bois ou la terre, on peut être limité, alors que le textile et la broderie permettent d’aborder de nouvelles matières”, explique Patty Zilo. Evelin Kasikov ne brode-t-elle pas, sur du simple papier, des lettres graphiques ? Aurélie Mathigot retravaille ses photographies de broderies de fils et de perles pour les charger d’émotions. Le Chilien Jose Romussi, lui, pare de fleurs ou d’arabesques des pages de mode de magazines féminins. Fanny Viollet écrit des messages sur des cartes routières Michelin recomposées. Kelly Favre aime confronter les packagings de make-up de luxe à la réalité. Nombreux sont les artistes à redonner vie à des objets anciens pour établir un travail sur la mémoire et se réapproprier le passé. Loin de toute nostalgie, Maurizio Anzeri donne un sens nouveau à d’anciennes photos de famille en les rebrodant de formes géométriques. Sarah Leterrier écrit, au fils, des textes de contes détournés de leur sens sur des mouchoirs. Dani Tambour rend hommage aux écrivains, comme Proust, en brodant leurs textes sur de grandes chemises d’époque. Cécile Jarsaillon retravaille des photos des années 50 à 70 avec du fil à repriser. Richard Saja s’empare même de la toile de Jouy pour lui donner des influences punk rock en tissant des perruques bleues sur la tête des personnages !

Broder, un acte féministe

Dans les années 50 et 60, les féministes américaines ont utilisé leur aiguille pour dénoncer les travers de la société. À mille lieux du trousseau, la broderie devient une arme pour écrire des slogans ou des manifestes, mais aussi pour parler de son corps et des rapports complexes à la féminité. En France, Louise Bourgeois l’a utilisée en référence à sa mère qui tissait et réparait des tapisseries. De nos jours, l’Anglaise Inge Jacobsen revendique le corps de la femme en parant des pubs de grandes griffes de corps nus. Kelly Favre utilise aussi des supports surprenants, comme une serviette hygiénique brodée de fil rouge ou une radiographie. Une façon de détourner les codes en douceur, tout en revendiquant sa féminité.

paysages brodés par Ana Teresa Barboza
Source : Ana Teresa Barboza 

Décalée, drôle, la broderie marque des points

Doigt d’honneur, insultes, clin d’œil aux réseaux sociaux… Une lignée de créatrices, issues de la DIY génération, retravaille des mots, des expressions… au point de croix. Une façon de tisser des liens entre passé et présent. www.subversivecrossstitch.com propose des kits au point de croix d’insultes en anglais. ItFilsGood retranscrit des dessins de skate ou de panneaux signalétiques. AgenteDoble pointe du doigt nos réflexes contemporains : “Home is where your wifi connects automatically”… Tandis que Apointsparles réussit avec un mot, “mémé !”, à nous renvoyer à un univers décalé. 

La broderie et la mode filent le parfait amour

Si la maison Lesage et la haute couture ont contribué à la renommée de la broderie française, elles conservent une image élitiste. En 2012, Dolce&Gabbana retravaille le point de croix sur des robes… Le phénomène est lancé. Sur les brocantes, les canevas sont convoités par des jeunes femmes qui les détournent en accessoires de mode, comme Aconit Napel – qui transforme des canevas en pochettes. Inspirée par ses voyages, Camille Enrico orne de broderies colliers et manchettes en laiton. Les créatrices de Maison Labiche, Jenny Richard et Marie Welte, se font remarquer grâce aux prénoms d’acteurs ou d’écrivains qu’elles brodent, sur commande, sur des T-shirts et des sweats. Sarah Stagliano, la créatrice d’Henriette H, a fait le buzz avec ses petites culottes blanches qu’elle brode de fils de couleur du nom de votre amoureux !

Rédactrice : Marie-Anne Bruschi